Dans les entreprises, pour améliorer les performances, les tableaux de bord se multiplient, les assistants IA débarquent et des CEO célèbrent des pilotes réussis en IA, prometteuses d’un boost de productivité avec moins de ressources à recruter.
Pourtant, sur le terrain, la transformation digitale se fait attendre. Un rapport récent du MIT parle d’un « GenAI Divide » (lire notre article): une adoption massive, mais très peu d’impact mesurable sur les résultats. Dans l’ombre, remontent des travers connus depuis l’époque du tout KPI: obsession des chiffres, refonte des processus repoussée, écoute des salariés en sourdine. Pourtant, les données disponibles, en Tunisie et ailleurs, permettent de poser le diagnostic et d’en tirer une responsabilité claire.
L’ère du tout KPI l’a montré: une métrique mal conçue déforme les comportements. L’affaire Wells Fargo éclaire ce risque. Pour rappel, Wells Fargo, sous pression d’objectifs commerciaux, a ouvert des millions de comptes non autorisés, aboutissant en 2020 à un règlement de 3 milliards de dollars avec le Département de la Justice américain et la SEC (source).
Avec l’IA, la même mécanique réapparaît. On pourra citer l’exemple du média en ligne CNET qui en 2023 a publié des dizaines d’articles de finances rédigés avec un outil d’IA, puis a reconnu de nombreuses erreurs après enquête externe et revue interne, corrigeant 41 articles sur 77 et mettant la pratique en pause.
Dans d’autres entreprises, des outils RH ont trié plus large les CV mais le choix était plus biaisé. Quand l’output passe avant l’impact, la confiance et la valeur en souffrent.
2025: adoption forte, transformation faible
Les entreprises testent massivement les modèles et les copilotes mais peu franchissent la marche de la production. La cause n’est pas uniquement technique. Les outils apprennent mal du contexte, s’articulent peu aux workflows et progressent peu avec l’usage. En parallèle, un shadow AI se développe: l’usage avance plus vite que la gouvernance et la sécurité. Pourquoi ? Car les employés utilisent les agents IA déjà présents sur le marché, surtout si les modèles développés en interne ne sont pas performants (lire notre article sur le shadow IT).
Mais pourquoi cette transformation digitale coince ? Trois goulets dominent:
- Les processus ne sont pas redessinés avant l’outillage. Les projets optimisent des fragments au lieu de repenser les chaînes de valeur.
- La gouvernance data et modèle reste lacunaire. Sans qualité de données, sans traçabilité et sans responsabilités claires, l’IA plafonne.
- Les compétences sont sous-investies. L’adoption se voit, la requalification se voit moins, pourtant elle conditionne le retour sur investissement.
Attention à l’éclatement de la bulle IA
Disons-le clairement. Si la bulle de l’IA éclate, la cause ne sera ni le modèle ni la puce. Ce sera la gouvernance. Hier le tout KPI, aujourd’hui le tout IA, le même angle mort persiste. La mesure devient la finalité, la vitesse remplace l’impact, la refonte des processus et la montée en compétences attendent. La responsabilité incombe aux comités de direction.
Quatre gestes s’imposent :
- Repartir des problèmes métier et redessiner les processus avant d’outiller.
- Écouter les salariés et capitaliser sur les usages réels, y compris ceux révélés par le shadow AI.
- Mutualiser au lieu de réinventer en silos le chacun-sa-propre-IA, privilégier l’interopérabilité.
- Financer sérieusement la requalification et la gouvernance.
Sans ces gestes, les organisations optimiseront des métriques de volume et la bulle gonflera. Ce n’est pas l’IA. C’est le management.
Les CEO n’ont toujours pas compris ce qu’est vraie transformation digitale
Le constat est désormais clair. L’ère des KPI a montré ce qui se produit quand la mesure remplace la finalité. L’IA reproduit ce travers dès qu’elle est pilotée par le débit plutôt que par l’impact. Si une bulle devait éclater, elle ne viendrait ni des modèles ni des puces. Elle viendrait de la façon dont les directions fixent les objectifs, organisent le travail et écoutent les équipes. Car au final, l’IA et les KPI servent à améliorer les processus internes afin de les rendre plus agiles. Mais force est de constater que toute innovation technologique est exploitée par ces CEO pour plus de contrôle des employés au nom de la sacrosainte maitrise des coûts par la réduction de la massa salariale.
La sortie par le haut tient en cinq engagements simples. Redessiner les processus avant d’outiller. Poser des indicateurs d’impact, qualité et risque compris, au lieu de compter les volumes. Mettre en place une gouvernance de la donnée et des modèles avec des responsabilités claires. Financer la requalification des métiers, managers compris. Choisir l’interopérabilité plutôt que le chacun sa propre IA.
Les entreprises sont appelé à faire un test de réalité de terrain : Un seul cas d’usage IA par métier, un référentiel de données propre, un protocole d’évaluation transparent et un suivi de trois indicateurs d’impact avec une base de comparaison. Si ces conditions sont réunies, la valeur suivra. Sinon, l’IA restera une vitrine coûteuse.
W.N avec IA
